Nombre de vues 463 Ce que c’est que la mort Ne dites pas mourir ; dites naître. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ; On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre égalité du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospère ; Car tous les hommes sont les fils du même père ; Ils sont la même larme et sortent du même oeil. On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, noué des mille noeuds funèbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni, Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre être frémit de la défaite étrange Du monstre qui devient dans la lumière un ange. Victor HUGO 1802-1885Onest l'homme mauvais que je suis, que vous êtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ; On tâche d'oublier le bas, la fin, l'écueil, La sombre égalité du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospère ; Car tous les hommes sont les fils du même père ; Ils sont la même larme et sortent du même oeil. Sur les photos, elle a toujours l’air triste. Non, pas triste dévorée par un mal profond, hantée par une douleur secrète, habitée par un enfer intime. Adèle Hugo est la seule survivante des enfants du poète Léopold est mort à trois mois ; Léopoldine s’est noyée à 19 ans, enceinte de trois mois ; Charles a été victime d’une apoplexie à 44 ans ; François-Victor s’est éteint à 45 ans, de tuberculose. Il ne reste, sur les vieux jours de l’auteur des Misérables », qu’un seul enfant, Adèle. Elle n’a rien de commun avec Isabelle Adjani, ni sa beauté, ni son éclat, ni sa sensualité. Henri Guillemin la décrit avec précision, dans L’Engloutie », petit livre publié en 1985, dix ans après le film de Truffaut. Adèle est comme une épave battue par la mer tout, en elle, s’érode, jour après a 22 ans en 1852, quand son père décide de s’exiler à Jersey. Déjà, à l’époque, Adèle est étrange la petite fille joufflue » s’est transformée en jeune femme dépressive, avec d’incompréhensibles sautes d’humeur. Elle s’ennuie sur l’île. Son père note qu’ ici, on danse beaucoup, bêtement, mais l’on danse », ce n’est guère suffisant. On fiance vaguement Adèle à Auguste Vacquerie, piètre poète, dont le frère s’est noyé avec Léopoldine, mais l’union n’aura jamais lieu. Pour remédier à la disposition obscure de la jeune femme, le docteur Terrier incite celle-ci à jouer au billard » et à surmonter son dégoût du tabac ».La suite après la publicitéLIRE AUSSI > Le jour où Victor Hugo est mort Que diras-tu donc quand tu auras mal à ta fille ? »Lors de séances de tables tournantes, un nouvel invité, fringant, devient l’habitué de la famille Hugo. Albert Pinson, lieutenant dans l’armée de Sa Majesté, a une aventure avec Adèle. Celle-ci en tombe amoureuse, éperdument. Pinson, qui a compris qu’il a devant lui une femme au bord de la folie, s’éloigne. Désormais, elle n’aura de cesse de le traquer. Il est cantonné à Halifax, au Canada ? Elle y va. Victor Hugo tente de la ramener à la raison ? Elle écrit à Albert Pinson Vous voyez d’ici les souffrances auxquelles vous m’exposez, en ne m’épousant pas. Vous m’envoyez sur le champ de bataille du désespoir ». Le bel officier a jadis été emprisonné pour dettes ? Elle promet de tout rembourser. Pinson se défile. Elle tente de lui faire croire qu’elle a mis au monde un enfant de lui. Elle plaide auprès de son père Quand un membre d’une famille souffre, toute la famille souffre, car n’est-elle pas un corps ? Tu dis “Bah! J’ai mal à la main, cela n’est rien”. Rien en effet. Que diras-tu donc quand tu auras mal à ta fille ? »Elle demande le consentement de son père, sans donner l’adresse où faire parvenir cette lettre. Son amour s’est mué en obsession suite après la publicitéLIRE AUSSI > Quand Jésus demandait à Victor Hugo de réformer le christianisme Toute sa conduite est une énigme »Victor Hugo écrit Toute sa conduite est une énigme ». Quant à Albert Pinson, c’est un soudard ». En 1864, devant une situation dramatique, madame Hugo écrit à son mari Il faut tendre la main à la pauvre enfant, mais la maintenir au-dessus du naufrage ». Las ! Le naufrage a eu lieu depuis longtemps. Adèle délire, suit Pinson à La Barbade, demande de l’argent à son père, se fait connaître sous le nom de Madame Pinson », est soignée par madame Baa, une bienfaitrice. L’errance amoureuse se termine en 1872 depuis vingt ans, Adèle est en proie à son idée fixe. Elle rentre en France, où elle est placée en maison de santé. Sa mère est morte, son père est âgé. Le temps passe. Adèle joue au piano, murée dans la meurt le 21 avril 1915, à 85 ans, et Albert Guillemin note dans L’Engloutie » que la messe de funérailles est célébrée à Saint-Sulpice, dans la chapelle où ses parents se sont mariés en 1822. Rémy de Gourmont, qui vient de vivre lui-même une passion impossible pour Natalie Barney à l’époque, celle-ci est en train de vivre un grand amour avec la duchesse de Clermont-Tonnerre jette son fiel Adèle est-elle le fruit des amours de Sainte-Beuve avec sa mère ? Tout ce qui touche à elle est un mystère, depuis sa naissance, jusqu’à sa mort ».La disparition d’Adèle n’émeut personne. Car ce jour-là, sur le front, à Ypres, les Allemands utilisent, pour la première fois, les gaz. Adèle Hugo entre dans le Adèle, fille de Victor Hugo, 1830-1915, Henri Guillemin, Le Seuil, 1985.
VictorHugo fut un écrivain » engagé « , pour reprendre un terme que Sartre popularisa. De ses choix successifs qui furent variés, on a retenu surtout celui qui marqua la seconde moitié de sa vie, la prise de position résolue, intransigeante, en faveur de la République à partir de 1849, qui lui valut un exil de près de vingt ans
Ne dites pas mourir ; dites naître. voit ce que je vois et ce que vous voyez ;On est l'homme mauvais que je suis, que vous êtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;On tâche d'oublier le bas, la fin, l'écueil,La sombre égalité du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;Car tous les hommes sont les fils du même père ;Ils sont la même larme et sortent du même vit, usant ses jours à se remplir d'orgueil ;On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C'est la suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, noué des mille noeuds funèbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;Et soudain on entend quelqu'un dans l'infiniQui chante, et par quelqu'un on sent qu'on est béni,Sans voir la main d'où tombe à notre âme méchanteL'amour, et sans savoir quelle est la voix qui arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sentFondre et vivre ; et, d'extase et d'azur d'emplissant,Tout notre être frémit de la défaite étrangeDu monstre qui devient dans la lumière un ange.
Le10 mai 1878, Victor Hugo prononce au théâtre de la Gaîté un discours en forme d'hommage au philosophe des Lumières. Quelques mois plus tôt, en octobre 1877, les républicains lors des législatives avaient écrasé les royalistes, puis en janvier 1878, scellé un rapport de force national en leur faveur aux élections municipales. Par ses combats et ses écrits pour la liberté deVictor Hugo Présente-t-on Victor Hugo ? À l'évidence, après treize pièces de théâtre, neuf romans, vingt recueils de poésie et 83 ans d'existence, dont 65 années d'écriture, l'homme qui a mis un ... [+] Ne dites pas mourir ; dites naître. voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l'homme mauvais que je suis, que vous êtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;On tâche d'oublier le bas, la fin, l'écueil,La sombre égalité du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;Car tous les hommes sont les fils du même père ;Ils sont la même larme et sortent du même vit, usant ses jours à se remplir d'orgueil ;On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C'est la suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, noué des mille noeuds funèbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ; Et soudain on entend quelqu'un dans l'infini Qui chante, et par quelqu'un on sent qu'on est béni, Sans voir la main d'où tombe à notre âme méchante L'amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d'extase et d'azur s'emplissant, Tout notre être frémit de la défaite étrange Du monstre qui devient dans la lumière un ange. LesContemplations sont un recueil de poèmes, écrit par Victor Hugo, publié en 1856.Il est composé de 158 poèmes rassemblés en six livres. La plupart de ces poèmes ont été écrits entre 1841 et 1855, mais les poèmes les plus anciens de ce recueil datent de 1830. Les Contemplations sont un recueil du souvenir, de l’amour, de la joie mais aussi de la mort, du JamesFONDATEUR ADMINISTRATEUR Nombre de messages 140903Age 58Localisation Mon Ailleurs c'est Charleville-MézièresDate d'inscription 04/09/2007Sujet Ce que c'est que la mort de Victor HUGO 1802-1885 Mer 24 Fév - 1806 Ce que c'est que la mortNe dites pas mourir ; dites naître. voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l'homme mauvais que je suis, que vous êtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;On tâche d'oublier le bas, la fin, l'écueil,La sombre égalité du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;Car tous les hommes sont les fils du même père ;Ils sont la même larme et sortent du même vit, usant ses jours à se remplir d'orgueil ;On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C'est la suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, noué des mille noeuds funèbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ; Et soudain on entend quelqu'un dans l'infini Qui chante, et par quelqu'un on sent qu'on est béni, Sans voir la main d'où tombe à notre âme méchante L'amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d'extase et d'azur s'emplissant, Tout notre être frémit de la défaite étrange Du monstre qui devient dans la lumière un les longs silences, je m'entends rêver... James Dela célèbre Réponse à un acte d'accusation, où le poète pose en révolutionnaire de la langue, à Ce que dit la bouche d'ombre, inspiré de l'expérience du spiritisme, en passant par les poèmes sur la mort de Léopoldine, ce sont les mémoires d'une âme qui se dessinent en creux. Parues en 1856 entre Les Châtiments et La Légende des siècles, Les Contemplations marquent le
Le 3 février 1829, la première édition, anonyme, du Dernier Jour d'un Condamné déroute les critiques comment ? On ne connaît même pas le crime du personnage principal !... Même pas un mois plus tard, Victor Hugo ajoute une préface sous forme de comédie, où il met en scène ses détracteurs LE POËTE ÉLÉGIAQUE — Ce criminel, [...] qu’a-t-il fait ? on n’en sait rien. [...] Moi, J’eusse conté l’histoire de mon condamné. [...] Un crime qui n’en soit pas un. Et puis des remords, [...] beaucoup de remords. Mais [...] il faut qu’il meure. Et là j’aurais traité ma question de la peine de mort. LE PHILOSOPHE — Pardon. Le livre, comme l’entend monsieur, ne prouverait rien. La particularité ne régit pas la généralité. Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1829. En 1832, Victor Hugo publie une nouvelle préface, où il révèle enfin, sans ambiguïté, son projet littéraire L'auteur [...] avoue hautement que Le Dernier Jour d'un Condamné n'est autre chose qu'un plaidoyer [...] pour l'abolition de la peine de mort. Ce qu'il a eu dessein de faire, [...] ce n'est pas la défense [...] toujours transitoire, [...] de tel ou tel accusé [...] c'est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir. Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1832. Vous connaissez les types de texte ici, on va plutôt trouver du narratif et du descriptif, mais, pour expliquer et argumenter de façon sous-jacente. On parle ainsi d'argumentation indirecte ou d'apologue quand la visée argumentative passe par le récit. On désigne souvent Le Dernier Jour d’un Condamné comme un roman à thèse la réflexion philosophique et politique dirige l'intrigue. Mais on va voir que la question du genre littéraire est plus complexe que cela. En tout cas, on va rester attentifs à tous les arguments de Victor Hugo contre la peine de mort, cachés dans le récit. I — Bicêtre. Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence. Autrefois [...] j'étais un homme comme un autre homme. [...] Maintenant je suis captif [...] d'une idée [...] Elle est toujours là, [...] comme un spectre de plomb à mes côtés. [...] Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude condamné à mort ! Dès les premiers mots, le passé s'oppose au présent à partir du moment où l'accusé se sait condamné, il n'est plus un homme, en tout cas, il n'est plus un homme comme un autre homme. Symboliquement, il a quitté le monde des vivants. Victor Hugo joue sans cesse avec les registres littéraires. D'abord le pathétique, pour inspirer la pitié, avec des exclamations, répétitions, souffrances concrètes, effets d'amplification. Mais on tend aussi vers le registre lyrique l'expression poétique d'une douleur à la première personne. On peut même parler d'un lyrisme élégiaque cette douleur est causée par une perte, un deuil, la fuite du temps, la mort. D'ailleurs, tout le texte sera à la première personne. Quel est ce genre littéraire ? Une autobiographie ? Des Mémoires ? Non le narrateur n'est pas un auteur réel, il n'a pas de rôle historique. Ici, le déroulement des pensées rappelle le monologue intérieur et les entrées à intervalles réguliers évoquent le Journal, mais on ne trouve pas de dates. Dans ses préfaces, Victor Hugo ne tranche pas, il semble surtout vouloir jouer avec l'effet de vraisemblance Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers [...] sur lesquels on a trouvé [...] les dernières pensées d’un misérable ; ou il s’est rencontré un homme, [...] un poète, [...] [saisi par] cette idée, [et qui] n’a pu s’en débarrasser qu’en la jetant dans ce livre. Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, Retour en arrière, le narrateur n’est pour l’instant qu’un simple accusé, que le guichetier emmène en salle d’audience C’était par une belle matinée d’août. Il y avait trois jours que mon procès était entamé, trois jours que mon nom et mon crime ralliaient chaque matin une nuée de spectateurs, qui venaient s’abattre sur les bancs de la salle d’audience comme des corbeaux autour d’un cadavre. C'est ici une première référence au théâtre la peine de mort attise la curiosité et devient un spectacle, on parlerait aujourd'hui d'un théâtre médiatique. Mais cela va plus loin... Les corbeaux représentent les gens de la cour de justice comme des charognards qui se nourrissent des morts. C'est un premier argument contre la peine de mort elle déshumanise la société. Vous allez voir que Victor Hugo utilise souvent des images impressionnantes, car il souhaite convaincre, et persuader. Convaincre, c'est faire appel à des arguments rationnels. Persuader, sollicite en plus des émotions, et donc, des images. Or justement, la comparaison va relier les deux dimensions, regardez derrière l'argument rationnel les hommes ont une fascination pour la mort, on trouve une image émotive les corbeaux se nourrissent d'un cadavre. Le point commun, c'est l'horreur instinctive que nous inspirent les charognards. À ce moment du récit, l’accusé n’est pas encore condamné à mort, mais son destin est déjà annoncé par cette image de cadavre. Victor Hugo joue avec le registre tragique le héros est écrasé par un destin, une fatalité qui le dépasse. Quand l’accusé arrive à sa place, il se fait un grand silence Au moment où le tumulte cessa dans la foule, il cessa aussi dans mes idées. Je compris tout à coup clairement [...] que le moment décisif était venu, et que j’étais là pour entendre ma sentence. Pour mettre en valeur une idée, Victor Hugo utilise souvent des effets de contraste violents. L'accusé n'éprouve pas de terreur à ce moment là, parce qu'il regarde une fleur Au bord de la croisée, une jolie petite plante jaune, toute pénétrée d’un rayon de soleil, jouait avec le vent dans une fente de la pierre. C'est ce qu'on appelle la focalisation interne toutes les marques de subjectivité se rapportent au même personnage principal perceptions, pensées, souvenirs, opinions, sentiments... Le lecteur va vivre l'expérience du point de vue du personnage principal, qui assiste à son procès sans tout comprendre. Par exemple, il est obligé d’interpréter les attitudes des personnes présentes Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait, probablement de la joie d’avoir bientôt fini. [...] Les jurés seuls paraissaient blêmes et abattus, mais c’était apparemment de fatigue d’avoir veillé toute la nuit. Cette fatigue des jurés introduit un nouvel argument ils portent une responsabilité écrasante, d'autant que la mort d'un innocent serait irréparable. Lors de l'abolition de la peine de mort en France en 1981, Robert Badinter développe cet argument dans son discours Douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis cette conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté. Robert Badinter, Discours à l’Assemblée Nationale, 1981. Arrive alors l'avocat qui se veut rassurant — Ils auront sans doute écarté la préméditation, et alors ce ne sera que les travaux forcés à perpétuité. — Que dites-vous là, monsieur ? [...] Plutôt cent fois la mort ! Avec cette réaction, Victor Hugo veut montrer que la peine de mort n’est pas dissuasive. En fait, la mort est même souvent préférée à la perpétuité car elle semble abréger la punition, le condamné ne parvient pas à imaginer sa propre mort Qu’est-ce que je risque à dire cela ? A-t-on jamais prononcé sentence de mort autrement qu’à minuit, [...] par une froide nuit [...] d’hiver ? Mais au mois d’août, [...] un si beau jour, [...] c’est impossible ! Tout à coup, le président invite tout le monde à se lever Une figure insignifiante et nulle, [...] c’était, je pense, le greffier, [...] lut le verdict. [...] Une sueur froide sortit de tous mes membres ; je m’appuyai au mur pour ne pas tomber. Le narrateur ne rapporte pas la sentence, seulement sa propre réaction physique comme assourdi et hors de lui-même. Victor Hugo joue ici avec les limites de la focalisation interne. Une révolution venait de se faire en moi. [...] Je distinguais clairement comme une clôture entre le monde et moi. [...] Ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se pressaient sur mon passage, je leur trouvais des airs de fantômes. Dès que la sentence tombe, le condamné est irrémédiablement séparé du monde des vivants. Victor Hugo va d'abord illustrer cette idée en jouant avec le registre fantastique le surnaturel fait irruption dans la réalité. Les vivants sont comme des fantômes pour le condamné, et réciproquement. Deux jeunes filles me suivaient avec des yeux avides. — Bon, [...] ce sera dans six semaines ! C'est une première marque d'humour noir de Victor Hugo la sentence de mort est une bonne nouvelle pour ces jeunes filles. Alors qu'on imagine ces personnages plus aptes à la compassion, au contraire, elles font preuve de sadisme. Dans ces conditions, la peine de mort n'a plus rien de dissuasif. Nous nions [...] qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, [...] il ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1832. Avec ces jeunes filles, Victor Hugo montre comment les spectateurs perdent leur humanité en suivant les exécutions. Aujourd’hui encore, même alors que l’exécution n’est pas publique, on retrouve cette fascination. Regardez par exemple le moment de la mort de Ted Bundy, un célèbre serial killer américain. III Dans son cachot, le narrateur essaye de trouver des raisons d’accepter son sort... Les hommes, [...] sont tous condamnés à mort avec des sursis indéfinis. Qu’y a-t-il donc de si changé à ma situation ? Depuis l’heure où mon arrêt m’a été prononcé, combien sont morts qui s’arrangeaient pour une longue vie ! Ah, n’importe, c’est horrible ! Ici, Victor Hugo montre la différence entre la conscience de la mort, le concept philosophique, et la sentence de mort, qui produit un isolement radical et désespérant. Vous verrez que sans cesse le condamné oscille entre espoir et désespoir. IV Maintenant, notre condamné est transféré à Bicêtre, qui a été construit par Louis XIII sur les ruines d'une ancienne forteresse. Le bâtiment sert d'abord à soigner les soldats invalides, mais on finit par y garder aussi les vagabonds, les aliénés, les criminels, et même les homosexuels et les prisonniers politiques. Vu de loin, cet édifice [...] garde quelque chose de son ancienne splendeur. [...] Mais à mesure que vous approchez, le palais devient masure. [...] Aux fenêtres [...] de massifs barreaux de fer [...] auxquels se colle [la] figure d’un galérien ou d’un fou. C’est la vie vue de près. On entre de plain pied dans le registre réaliste un regard qui s’attache aux détails sordides d’une réalité banale. Et c’est là ce que veut nous montrer Victor Hugo ce cadre atroce constitue le quotidien de tous les prisonniers. V Victor Hugo donne juste assez d'informations sur le condamné pour favoriser l'identification et garder une dimension universelle à son témoignage. Ma jeunesse, ma docilité, [...] quelques mots en latin [...] m’ouvrirent la promenade une fois par semaine [...] et firent disparaître la camisole où j’étais paralysé. Après bien des hésitations, on m’a aussi donné de l’encre [et] du papier. Le condamné peut donc écrire son histoire au fur et à mesure. C'est une manière pour Victor Hugo de préserver la vraisemblance. On se rapproche du genre du journal, mais sans les dates. Notre condamné à mort rencontre aussi les autres détenus, qui lui parlent en argot. Ils m’apprennent [...] à rouscailler bigorne, comme ils disent. [...] Épouser la veuve être pendu, [...] le taule le bourreau, la cône la mort, la placarde la place des exécutions. Quand on entend parler cette langue, cela fait l’effet [...] d’une liasse de haillons que l’on secouerait devant vous. C'est un autre trait de l'écriture de Victor Hugo il mélange les niveaux de langage soutenu, courant, familier. Mais vous allez voir que cela permet surtout d’illustrer des modes d’expression variés la prose, le vers, l’oral, l’écrit, le chant et même la danse. VI Maintenant qu’il a de l’encre et du papier, le condamné se pose la première question de l'écrivain pourquoi écrire ? Pourquoi n’essaierais-je pas de me dire à moi-même tout ce que j’éprouve de violent et d’inconnu dans la situation abandonnée où me voilà ? [...] Ces angoisses, le seul moyen d’en moins souffrir, c’est de les observer. Mais il songe aussi que son témoignage pourrait être lu par d’autres, et notamment par les juges N’y aura-t-il pas [...] dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence [...] ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute [...] qu'il n’y a rien avant, rien après. Ces feuilles les détromperont. Pour faire reculer l’ignorance, le scientifique doit regarder de près la réalité, il fait une autopsie. Mais la peine de mort, par son sensationnalisme et son instantanéité, nous focalise sur la souffrance physique elle cache l’avant et l’après. Avant, c’est la souffrance morale, et après, c’est aussi une interrogation importante aux yeux de Victor Hugo nul ne sait si l’âme existe et ce qu’elle devient après la mort. La peine de mort nie à la fois l’intelligence humaine et la spiritualité. VII Le condamné se met aussitôt à douter de ses raisons d'écrire. Que ce que j’écris ici puisse être un jour utile à d’autres, [...] à quoi bon ? [...] Quand ma tête aura été coupée, qu’est-ce que cela me fait qu’on en coupe d’autres ? [...] Ah ! c’est moi qu’il faudrait sauver ! C'est un nouvel argument que Victor Hugo présente ici une fois condamné, le coupable ne songe plus qu’à sa propre fin. Le sort des autres lui devient indifférent, il n'est plus disponible pour réparer son crime... Au contraire, le prisonnier à perpétuité a le temps de réfléchir et de s'amender. VIII Après cette phase de désespoir, le condamné tente de calculer froidement le temps qui lui reste, mais cela finit comme un compte à rebours, d’autant plus oppressant qu’il ne sait plus depuis combien de temps il est enfermé. En tout six semaines. La petite fille avait raison. Or voilà cinq semaines au moins [...] que je suis dans ce cabanon de Bicêtre. Malgré ce qu'annonce le titre, Le Dernier Jour d'un Condamné ne se déroule pas sur 24h, mais sur 1 semaine à peu près, avec en plus des retours dans le passé. Pour Victor Hugo, le plus important, ce n'est pas l'unité de temps ou de lieu, mais bien l'unité d'action. IX Le condamné a fait son testament. Il réalise qu’il ne pourra rien léguer à ses proches, car il doit payer son exécution. La guillotine, c’est fort cher. Je laisse une mère, je laisse une femme, je laisse un enfant. J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les déshonore, on les ruine. C’est la justice. Ma pauvre vieille mère a soixante-quatre ans, elle mourra du coup. [...] Ma femme [...] mourra aussi. À moins qu’elle ne devienne folle. Mais ma fille, [...] ma pauvre petite Marie, qui rit, qui chante à cette heure [...] c’est elle qui me fait mal ! Avec ce registre pathétique, Hugo veut montrer que la peine de mort enlève définitivement une personne à ses proches sans pour autant soulager les victimes. Elle augmente l'injustice en punissant des innocents. X Le prisonnier décrit son cachot avec minutie. C'est déjà pratiquement un tombeau. Huit pieds carrés. Quatre murailles de pierre de taille. [...] Une noire voûte en ogive. [...] Pas de fenêtres, pas même de soupirail. [...] Je me trompe ; au centre de la porte, [...] une ouverture [...] coupée d’une grille en croix. Un jour il entend même son guichetier faire une visite guidée. Le prisonnier est radicalement coupé des autres, ceux qui continuent à vivre, ceux qui continuent d'être humains. Ces cachots sont tout ce qui reste de l’ancien château de Bicêtre tel qu’il fut bâti dans le quinzième siècle par le cardinal de Winchester, le même qui fit brûler Jeanne d’Arc. J’ai entendu dire cela à des curieux [...] qui me regardaient à distance comme une bête de la ménagerie. Le guichetier a eu cent sous. Cette référence à Jeanne d'Arc n'est pas anodine, elle rappelle que la peine de mort sert des intérêts politiques il faut se débarrasser d'une personne qui serait gênante même en prison. Cela favorise donc les faux procès. Autre argument le condamné à mort devient martyr d'une cause. C'est le cas des résistants et des libérateurs, mais également des terroristes. Au lieu de faire un exemple, la peine de mort donne le criminel en exemple. Aux yeux de certains [...] l'exécution du terroriste en fait une sorte de héros [...] au service d'une cause. Dès lors apparaît le risque [...] de voir se lever [...] pour un terroriste exécuté, vingt jeunes gens égarés. [...] La peine de mort nourrit le terrorisme. Robert Badinter, Discours à l’Assemblée Nationale, Pendant la nuit, le prisonnier regarde les murs de sa cellule avec une lampe, ils sont couverts d’inscriptions. Ce sont les dernières traces des condamnés, comme autant d'épitaphes. J’aimerais à [...] retrouver chaque homme sous chaque nom ; à rendre le sens et la vie à ces inscriptions mutilées, [...] corps sans tête comme ceux qui les ont écrits. Pauvre jeune homme ! Que leurs prétendues nécessités politiques sont hideuses ! La référence à Jeanne d'Arc permettait à Victor Hugo de préparer cette dénonciation les partisans républicains comme Jean-François Bories sont sacrifiés pour des raisons politiques. XII Sous une toile d'araignée, le condamné découvre encore d’autres noms Dautun, celui qui a coupé son frère en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tête dans une fontaine et le tronc dans un égout ; Poulain, celui qui a assassiné sa femme ; Jean Martin, celui qui a tiré un coup de pistolet à son père [...] ; Castaing, ce médecin qui a empoisonné son ami, et qui, [...] au lieu de remède lui redonnait du poison. Papavoine, l’horrible fou qui tuait les enfants à coups de couteau sur la tête ! Voilà [...] quels ont été avant moi les hôtes de cette cellule. C’est ici, sur la même dalle où je suis, qu’ils ont pensé leurs dernières pensées, ces hommes de meurtre et de sang ! [...] Ils se sont succédé à de courts intervalles ; [...] ce cachot ne désemplit pas. Victor Hugo cite les pires crimes mutilations, parricide, empoisonnement avec préméditation, meurtre d'enfants. Est-ce que cela ne justifie pas la peine de mort ? Victor Hugo donne déjà quelques éléments de réponse D'abord, la peine de mort fait disparaître les criminels, comme la toile d'araignée qui couvre leurs noms et leurs pensées. Les causes et motifs des crimes disparaissent avec eux. Seul un véritable travail d'analyse donnerait les clés de compréhension des crimes, et donc le moyen de les empêcher à l'avenir. Par exemple, Michel Fourniret, incarcéré depuis 2008, avoue de nouveaux meurtres 10 ans plus tard, et participe à la recherche des corps. La peine de mort aurait laissé ces crimes irrésolus, sans reconnaissance par la société, ni sanction pénale, ce qui est le pire cas de figure pour les familles des victimes. Ensuite, si la peine de mort était dissuasive, pourquoi ce cachot est-il sans cesse rempli ? Aucun de ces crimes passionnels n'a pu être empêché par la peine de mort. Ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles. Robert Badinter, Discours à l’Assemblée Nationale, 1981. Enfin, pour Victor Hugo, jouer avec la vie et la mort, c'est nier l'importance de la spiritualité dans la vie humaine. Le registre fantastique lui permet d'illustrer cette question que devient l'âme d'un homme exécuté ? Il m’a semblé tout à coup [...] que le cachot était plein d’hommes [...] qui portaient leur tête [...] par la bouche, parce qu’il n’y avait pas de chevelure. [...] Ô les épouvantables spectres ! [...] Chimère à la Macbeth ! Les morts sont morts, ceux-là surtout. [...] Bien cadenassés dans le sépulcre. [...] Comment se fait-il donc que j’aie eu peur ainsi ? Ici Victor Hugo est ironique il laisse entendre l'inverse de ce qu'il dit. S'il y a des morts qui reviennent, ce sont justement ceux-là ceux qui ont eu une mort violente. Et ce n'est pas un cadenas qui les empêchera de revenir ! Le Dernier Jour d'un Condamné n'est pas découpé en grandes parties, mais on peut retrouver une logique théâtrale avec ici la fin d'un premier acte et un changement de décor. On a tous les éléments de l'intrigue, le mécanisme tragique est enclenché. Avec mes vidéos, je vais tenter de suivre ces mouvements. ⇨ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un Condamné 📓 Texte intégral au format PDF ⇨ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un Condamné 🃏 Chapitres I à XII axes de lecture ⇨ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un Condamné 🎨 Portraits des personnages ⇨ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un Condamné 🎞️ Chapitres I à XII diaporama de la vidéo ⇨ Hugo, Le dernier jour d'un condamné 🎧 chapitres 1 à 12 podcast ⇨ Hugo, Le dernier jour d'un condamné 📚 Chapitres 1 à 12 PDFloJ9pg.